La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

dimanche 4 juin 2017

Le principe civilisé (I)

Je suis en train de lire un roman (?) de Daniel Quinn intitulé
« Professeur cherche élève ayant désir de sauver le monde »
et vous en parle déjà tant cet auteur vaut d'être connu, lu, entendu.

Je découvre que ce livre donne suite à un premier volume intitulé : « Ishmael ».
Celui-ci, « Professeur… », s’intitule en anglais : « My Ishmael ».

My Ishmael met en scène une jeune fille de 12 ans (au moment des faits)
qui noue une relation avec un gorille ayant passé une annonce :
« Professeur cherche élève ayant désir de sauver le monde ».
Il est donc question d’un dialogue improbable entre deux personnages loufoques.


Pour évoquer notre conditionnement millénaire, D. Quinn parle de « Mère Culture ».
Voici un extrait explicatif :
Mère Culture s’adresse à vous par la voix de vos parents,
qui pareillement ont écouté sa voix depuis le jour de leur naissance.
Elle vous parle à travers les personnages de dessins animés, de BD,
de romans, de contes. Par la bouche des commentateurs, des professeurs,
des candidats à la présidence. Vous l’avez entendue lors de débats télévisés,
dans les chansons populaires, les pubs, les conférences, les discours politiques,
les sermons, les histoire drôles. Vous avez lu ses pensées dans des articles
de journaux, des manuels scolaires, des illustrés.
Nous n’avons pas tous la même Mère Culture.
Par exemple, de nos jours, les tribus vivant hors civilisation, dans la jungle ou autres,
n’ont pas du tout la même culture que nous, occidentaux sivil  civilisés.
Voici comment reconnaître les personnes de la culture de « Ceux-qui-prennent » :
En fait, pour simplifier encore, je vais te donner deux règles de base
te permettant d’identifier les gens de ta culture.
Voici l’une d’elles. Si la nourriture appartient toujours à quelqu’un
et qu’elle est gardée sous clef, c’est que tu te trouves parmi eux.
(…)
Voici une autre règle fondamentale dont tu peux te servir pour reconnaître
ceux de ta culture : ils croient appartenir à une race d’essence imparfaite,
condamnée à la souffrance et au malheur. (…)
Il leur paraît normal de vivre dans la pauvreté, l’injustice et le crime,
de rendre leur planète inhabitable et que leurs gouvernants soient des profiteurs
égoïstes et corrompus. Ils peuvent s’en indigner, mais ils n’en sont pas surpris,
cela leur semble aller de soi, comme de mettre la nourriture sous clef.

Par rapport à la première règle, celle de « mettre sous clé la nourriture »,
D. Quinn de préciser :
(…) ce fut l’une des grandes innovations de ta culture
que de mettre la nourriture sous clef.
Aucune autre culture dans l’histoire ne l’a jamais fait.
C’est d’ailleurs la base même de votre économie.
(…)
Vous êtes les seuls à mettre la nourriture sous clef
pour ensuite travailler dur afin de la récupérer,
et les seuls à trouver que cela va de soi.

Notre Mère Culture nous fait croire que la nature humaine est maudite.
D. Quinn d’écrire :
C’est là un préjugé bien ancré chez ceux de ta culture (…)
Vous avez l’impression que la sagesse ne peut venir de vous.
Vous savez fabriquer de merveilleux gadgets électroniques,
envoyer des vaisseaux dans l’espace, pénétrer au cœur de l’atome.
Mais la notion du savoir-vivre le plus élémentaire et le plus essentiel vous est étrangère.
(…)
Toute votre culture a adopté cette attitude, plutôt que de faire face à ses difficultés.
Au lieu de dire : "Le problème est dû à notre façon d’agir", vous dites :
"Le problème est inhérent à la nature humaine. Celle-ci est responsable
de tous nos ennuis et nous n’y pouvons rien changer, donc nous sommes impuissants".
(…)
Ceux de ta culture accusent la nature humaine de tous leurs maux.
(…) Cela vous permet de vous dédouaner et de rejeter la faute
sur une chose qui échappe à votre contrôle : la nature humaine. (…)

« Histoire de l’homme en 17 secondes » est le titre d’un chapitre, dont voici un extrait :
- (…) il y a dix mille ans, les gens ont renoncé à la vie nomade
pour s’installer et devenir fermiers. (…)
- Mais où est le mensonge là-dedans ?
- (…) Tous les hommes n’ont pas fait ce que tu dis, seulement ceux de ta culture…
(…) Le mensonge, c’est de vous considérer comme la représentant tout entière,
de croire que votre histoire embrasse toute l’histoire humaine.
 
La vérité, c’est qu’il y a dix mille ans un peuple a renoncé à la vie nomade
pour s’établir en cultivant la terre.
Le reste, c’est-à-dire quatre-vingt-dix pour cent de l’humanité,
a continué exactement comme auparavant.

À savoir : pour cet auteur,
« Ceux-qui-prennent » désigne les sédentaires, les fermiers (les calculateurs).
Quand D. Quinn écrit « mettre la nourriture sous clef », il est question des surplus de l’agriculture.
Il y a environ dix mille ans, quatre-vingt-dix pourcent des humains étaient des
« Ceux-qui-laissent », terme désignant les nomades primitifs, cueilleurs et chasseurs.

Pour expliquer ce qu’il s’est passé il y a dix mille ans,
le gorille utilise la métaphore de danseurs évoluant sur une autre planète :
(Il fut une époque où) les gens vécurent un temps comme les autres espèces,
mangeant tout simplement ce qui était à portée de leurs mains.
Un ou deux millions d’années plus tard, ils remarquèrent qu’il était très facile
de favoriser la repousse de leurs aliments préférés en esquissant quelques pas de danse.
Ce n’était pas vital, mais leur nourriture gagnait ainsi en qualité et en quantité.
(…)
Chaque peuple développa sa propre approche de la danse.
(…)
Mais un groupe (…) finit par se dire : « Il suffirait de consacrer plus de temps
à la danse pour manger exclusivement de nos aliments préférés. »
Ce groupe se mit donc à danser plusieurs heures par jour. (…)
Les résultats furent spectaculaires. Une classe dirigeante émergea bientôt
pour veiller à la collecte et à la préservation des excédents,
ce qui n’était pas nécessaire du temps où tout le monde
ne dansait qu’un peu chaque semaine.
(…)
Jusqu’au jour où l’un d’eux eut l’idée de mettre la nourriture sous clef.
À quoi cela nous avancera-t-il ? lui demanda-t-on.
- Si les danseurs ne dansent pas comme ils le devraient,
c’est parce qu’ils n’ont qu’à tendre la main pour obtenir toute la nourriture
qu’ils désirent. Si nous la mettons sous clef, ils ne le pourront plus.
(…)
Nous associerons la danse au fait de recevoir de la nourriture.
Tant de nourriture pour tant de danse.
(…)
Mais forcer les danseurs à danser dix ou douze heures par jour eut une conséquence
encore plus importante. La population de chaque espèce croît en fonction
de la nourriture disponible. Si la nourriture abonde, la population augmente,
du moment qu’elle a de l’espace pour s’étendre. Et pour cela,
il suffisait à Ceux-qui-prennent d’empiéter sur le territoire de leurs voisins.
Ils étaient tout disposés à le faire de façon pacifique.
« Écoutez, pourquoi ne pas vous mettre à danser comme nous ?, dirent-ils
à Ceux-qui-laissent qui habitaient autour d’eux. Regardez comme nous avons
progressé en dansant de cette manière. Nous possédons des biens
dont vous ne pouvez même pas rêver. Votre façon de danser est terriblement
inefficace, improductive. Vous devriez adopter la nôtre, celle pour laquelle
nous sommes tous faits. Accueillez-nous sur votre territoire,
et nous vous montrerons comment faire. »
L’idée plut à certains, et ils adoptèrent le mode de vie de Ceux-qui-prennent.
Mais d’autres dirent : « Nous sommes très bien comme nous sommes.
Nous dansons quelques heures par semaine et cela nous suffit amplement.
Vous êtes fous de vous épuiser à danser cinquante ou soixante heures par semaines,
mais cela vous regarde. (…)
Ceux-qui-prennent encerclèrent ceux qui résistaient et parvinrent à les isoler. (…)

(Il y eut des peuples Ceux-qui-laissent révoltés, mais Ceux-qui-prennent les contraignirent à vivre dans un espace réduit, les « réserves ».
Un autre peuple rebelle fut prêt à se battre contre Ceux-qui-prennent
pour sauvegarder leur façon de vivre)
« Écoutez, dirent-ils, vous possédez
presque toute cette partie du monde. Vous n’avez pas besoin du petit territoire
où nous vivons. (…) »
Mais Ceux-qui-prennent insistèrent : « Vous ne comprenez pas.
Votre façon de vivre n’est pas seulement vaine et improductive, elle est mauvaise.
Tous autant que nous sommes, nous avons été conçus pour vivre
à la manière de Ceux-qui-prennent. (…)
C’est évident. Regardez comme cela nous réussit.
Si nous n’avions pas le seul mode de vie valable, nous ne serions pas aussi prospères. » (…)
Et (Ceux-qui-laissent) apprirent en effet ce que Ceux-qui-prennent entendaient
par réussite, victoire et succès, quand les soldats parvinrent à les chasser
de leur terre natale. (...)
Les choses se déroulèrent ainsi non seulement durant les années qui suivirent,
mais pendant les siècles et les millénaires à venir.
La production alimentaire crût sans relâche et la population de Ceux-qui-prennent
augmenta sans cesse, ce qui la poussa à étendre encore son territoire.
Où qu’ils aillent, Ceux-qui-prennent tombaient sur des peuples qui dansaient
quelques heures par semaines ou par mois, et à tous ces gens,
ils donnaient le même choix qu’aux (autres tribus) : « Rejoignez-nous,
laissez-nous mettre sous clef toute votre nourriture, ou soyez détruits. »
 
À la fin, ce choix n’était plus qu’une illusion, car ces peuples étaient
de toute façon voués à la destruction, qu’ils choisissent de s’assimiler,
acceptent d’être conduits dans une réserve, ou tentent de repousser les envahisseurs.
À mesure qu’ils déferlaient sur le monde,
Ceux-qui-prennent ne laissaient rien sur leur passage, qu’eux-mêmes. (…)

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16 commentaires:

  1. Contente de voir que cette lecture te plaise. C'est à partir de la lecture de ce livre que j'ai vraiment changé ma façon de vivre et de penser le monde. D. Quinn nous raconte là une évidence que nous vivons toujours aujourd'hui malheureusement...
    Tu me donnes envie de le relire car je vois que je me suis focalisée sur certains passages et que j'en ai oublié d'autres.

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    1. Merci Vi, pour avoir écrit à deux reprises des extraits de ce livre.
      (J'comprends que, depuis, tu aies repensé ta façon de vivre)

      J'en profite pour remercier Redelf qui, après avoir lu ton com, Vi, s'est procurée le livre, puis me l'a envoyé.

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  2. Bonsoir,
    c'est les fermiers qui ont créé la propriété privée ?
    Du bourrage de crâne ? Conditionnement ?
    Ou la nature ?
    Je lis très peu mais ton site j'aime, mis balader, bonne continuation de cres :)
    Merci et un peu de zic (une conséquence ? )
    https://www.youtube.com/watch?v=73Ua1RpHHjY

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    1. Oui, (ne pas s'accrocher aux termes) les fermiers ou agriculteurs.
      Avec nos mots d'aujourd'hui, on peut dire que les 1ers Nababs (de la civilisation) furent les agriculteurs (comme maintenant il y a ceux d'Internet...) qui ont créé la propriété privée, puis l'économie, les banques, etc.

      Conditionnement, oui, à devoir "danser" pour pouvoir obtenir de la nourriture et du confort (sédentarisation = construction de maisons, de temples, etc.)

      "Ceux-qui-laissent" vivaient au rythme de la nature, sans avoir besoin de "danser". Ils ne connaissaient pas les notions de territoire, par exemple.
      Et, en lisant attentivement la parabole des danseurs, on y voit "naître" la violence (qui n'existait pas auparavant ; la violence étant à distinguer de l'agressivité naturelle, instinctive)...
      La violence s'est produite par le besoin d'étendre le territoire de "Ceux-qui-prennent".

      Salut Cres

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    2. En passant :)
      https://www.youtube.com/watch?v=XM9HViUBGf8
      A+
      Cres

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    3. Merci Cres
      Chanson lucide, oh combien...

      Message à la chanteuse : attention à l'emploi du terme "cynisme",
      https://souffledesonge.blogspot.fr/2017/05/du-cynisme.html

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  3. Eric,
    Remettre en cause les modes de fonctionnement qu'on ne questionne plus, c'est un long chemin.
    Thierry

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    1. T'as raison, Thierry, et chacun son rythme...
      Mais,
      il y a maintenant urgence car, nous, de la Culture "Ceux-qui-prennent",
      n'avons plus de territoires à conquérir (sauf les dernières forêts qui sont en train d'être saccagées...) = le système implose et nous sommes trop nombreux...

      Urgence de remettre en cause notre fonctionnement,
      pour notre survie (ce n'est que mon sentiment)

      A +

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  4. Ça m interpelle. Si je le trouve à la bibli je le prend . Merci Vi alors .... Sympa de se partager les idées a lire. Bises à la compagnie .

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    1. ça interpelle, effectivement.
      Bises à toi aussi, Saby

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    2. Le livre n'est pas facile à trouver et souvent à prix d'or ! Malheureusement !

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    3. Par contre je viens de trouver un pdf avec tout le roman !
      https://frishmael.files.wordpress.com/2015/05/myishmaelv1.pdf

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    4. :)) Y en a qui vont être contents

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  5. Les livres (ou autres éléments) qui nous aident à grandir (changer, évoluer, s'accomplir et autres verbes) heureusement que cela existe. Personnellement, par l'expérience livre, c'est l'autobiographie de Gandhi qui m'a permis de me dire "je peux changer" ...
    Merci Eric pour le temps que tu consacres à partager avec nous :-D

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    1. Coucou Redelf !
      (C'est elle qui m'a envoyé le livre)
      ;))

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