La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

lundi 24 juillet 2017

Un fleuve, deux courants

Selon G. I. Gurdjieff, la principale tare psychique de l’humain
consiste en son déni de la mort (exprimé avec mes mots).
Si l’humain prenait pleinement conscience du caractère éphémère de son existence,
il agirait avec bon sens et serait, automatiquement, mieux tourné envers les autres,
au lieu de se comporter en égoïste égocentrique avide.

G. I. Gurdjieff définit l’humain en utilisant deux expressions permettant de distinguer
ceux qui font des efforts personnels (intérieurs) à en souffrir volontairement,
de ceux qui n’en font pas : « vrai homme » et « homme-entre-guillemets ».

À ce sujet, il a écrit :
Le vrai homme, qui a déjà acquis son propre « Moi »,
aussi bien que l’homme-entre-guillemets, qui n’en possède pas (de « Moi »),
sont tous deux également esclaves de cette « grandeur » ;
cependant il y a entre eux cette différence :
le premier, en assumant une attitude consciente envers son esclavage,
acquiert la possibilité, tout en servant la réalisation universelle,
de consacrer une partie de ses manifestations,
conformément aux prévisions de la Grande Nature,
à l’acquisition d’un « être impérissable »,
tandis que l’autre,
parce qu’il ne prend pas conscience de son esclavage,
demeure pendant tout le processus de son existence une simple chose,
qui lorsqu’on n’en a plus besoin, est détruite pour toujours.

Nous sommes tous esclaves de la « grandeur », c’est-à-dire de la « Grande Nature » ;
la Terre participe au Grand Échange nourricier et de soutien réciproque
s'effectuant entre tout le vivant de l’univers.

G. I. Gurdjieff continue le propos avec une métaphore :
Pour rendre ce que je viens de dire plus compréhensible et plus concret,
nous aurons recours à une image : nous comparerons la vie humaine dans son ensemble
à un grand fleuve issu de sources variées, qui coule à la surface de notre planète,
et la vie de chaque homme en particulier à l’une des gouttes d’eau
qui composent ce fleuve de vie.
Ce fleuve coule tout d’abord d’une seule masse le long d’une vallée (…),
puis, (…), il se divise en deux courants distincts (…)
Toute l’eau du premier courant, peu après avoir franchi cet endroit,
débouche dans une vallée (…) unie et, traversant des régions
dénuées de tout « pittoresque », elle poursuit son cours jusqu’au vaste océan.
Le second bras, au contraire, court à travers les obstacles formés
par (quelque chose de non conforme aux lois)
(…) et pour finir, s’engouffrant dans des crevasses qui sont elles-mêmes
des conséquences (de ce quelque chose de non conforme voulu par les humains),
disparaît dans les profondeurs de la terre.
(…)
Prise individuellement, la vie de tout homme, jusqu’à l’âge responsable,
correspond à une goutte d’eau du courant initial de ce fleuve (avant sa séparation),
et l’endroit où se fait le « partage des eaux » correspond à la période
où il atteint sa majorité.
(…)
Les gouttes n’ont pas de destin personnel prédéterminé.
Le destin prédéterminé n’existe que pour l’ensemble de la rivière.
(…)
Ainsi, lorsque la Grande Nature se vit contrainte, en raison de la vie indigne
des hommes de faire dégénérer leur présence de manière correspondante (…) ;
la Grande Nature conçut un plan conforme aux lois, (…) de telle sorte
qu’en chacune des gouttes d’eaux (…) puisse surgir (…) « quelque chose » (…)
(qui) sert à réaliser la propriété correspondant à l’un ou à l’autre des courants,
(ce « quelque chose ») est, dans la présence générale de tout homme
ayant atteint l’âge responsable, ce « Moi » dont il a été question (…)
Un hommes qui possède son propre « Moi » entre dans l’un des courants
de la rivière de la vie, et celui qui ne le possède pas entre dans l’autre.
(…)
Pour nous, hommes contemporains, le plus grand mal est qu’en raison
des diverses conditions de notre vie ordinaire, et surtout en raison
de notre anormale « éducation », nous ne possédons, à l’âge responsable,
que des présences correspondant au courant du fleuve de la vie
destiné à se perdre dans les abîmes souterrains (…)
Dès lors, il nous entraîne où il veut, comme il veut, et nous,
sans réfléchir aux conséquences, nous demeurons passifs,
nous laissant emporter comme des épaves, à la dérive.
(…)
(…) moyennant certaines conditions intérieures et extérieures,
la possibilité nous a été donnée de passer d’un courant dans l’autre.
L’expression de « première libération de l’homme »,
qui nous est venue du fond des âges, désigne précisément cette possibilité
de passer du courant destiné à se perdre dans les abîmes souterrains
dans l’autre courant, celui qui se jette dans les vastes espaces de l’océan sans limites. (…)
Pour passer, il vous faut tout d’abord cristalliser consciemment en vous-même
des données suscitant en votre présence générale une impulsion constante
et inextinguible du désir de ce passage ;
ensuite une longue préparation sera nécessaire.
Avant toute chose, ce passage exige un renoncement à tout (…)
En d’autres termes, il vous faut mourir à tout ce qui constitue la vie ordinaire.
C’est de cette mort que parlent toutes les religions.
(…) cette mort qui peut intervenir ici-bas, en cette vie,
c’est-à-dire de la mort du « tyran » qui fait de nous des esclaves,
et dont la destruction peu seule assurer la première grande libération de l’homme.

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Notes :
1. Le « Moi » est à relier avec le Soi ou encore, avec le « moi véritable »
conscient (de soi-même) et capable de jugement objectif.  
2. Mourir, dans ce propos, permet une résurrection, non pas du corps,
mais de l’âme ou de l’Esprit, ce que C. G. Jung nommait « métanoïa ».
3. Le « tyran » est à chercher en soi-même.
Il est notamment l’avide, jaloux et envieux, en nous-même.
Par associations de pensée, je rappelle que le guerrier toltèque (de l’esprit)
se traque lui-même afin de désarçonner ce que G. I. Gurdjieff nomme le « tyran ».
C’est ce « tyran » intérieur qui nous « auto-tranquillise »
notamment face à l’idée de la mort ;
c’est lui qui déprécie et résiste aux efforts personnels ou « travail sur soi »
en vue de progresser sur la voie de la connaissance et de l’intelligence objective.
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Liens
* Germe d'âme
* Un fleuve, l'océan (j'y reprends l'extrait ci-dessus avec mes mots et quelques précisions). 

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2 commentaires:

  1. Eric,
    Complexe, mais toujours aussi passionnant.
    La mort du tyran, vaste thème, il porte tellement de masques.
    @+

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    Réponses
    1. Excellent, "il porte tellement de masques".
      Pour nous tromper le tyran use tous les moyens,
      même celui de nous faire croire qu'il est un ange de bonne volonté...
      A toute Thierry

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