La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

samedi 24 février 2018

Tampons et contrôle (G XVIIII)

G. I. Gurdjieff revient sur la notion de « conscience »,
en poursuivant avec le sujet des « tampons »,
tampons qui amortissent les chocs entre nos contradictions intérieures.

Les « tampons », de par leurs fonctions,
se révèlent utiles à la personnalité,
mais nuisibles à l’être (d’où la nécessité d’en prendre conscience) :
« La conscience morale » est un état dans lequel
l’homme « sent d’une manière immédiate et totale »
tout ce qu’il sent en général ou peut sentir.
Et comme chacun a en lui des milliers de sentiments contradictoires qui,
de la réalisation profondément cachée de sa propre nullité,
vont jusqu’aux formes les plus stupides de l’infatuation
– et de toutes sortes de terreurs jusqu’à la présomption,
la suffisance et l’auto-idolâtrie –
sentir tout cela « simultanément » ne serait pas seulement douloureux ;
ce serait insupportable. (…)

L’homme ne peut pas vivre dans un tel état ;
il doit, ou bien détruire les contradictions,
ou bien détruire la conscience
.
Il ne peut pas détruire la conscience, mais s’il ne peut pas la détruire,
il peut la mettre en sommeil,
ce qui signifie que, par d’impénétrables barrières,
il peut séparer en lui-même un sentiment d’un autre,
ne jamais les voir ensemble,
ne jamais sentir leur incompatibilité
ni l’absurdité de leur coexistence.
Mais heureusement pour l’homme, c’est-à-dire pour sa paix et son sommeil,
cet état de conscience est très rare. Dès sa plus petite enfance,
les tampons ont commencé à se développer et à se fortifier en lui,
lui enlevant progressivement toute possibilité de voir ses contradictions intérieures ;
pour lui, par conséquent, il n’y a pas le moindre danger d’un éveil soudain.
L’éveil n’est possible que pour ceux qui le cherchent, qui le veulent,
et sont prêts à lutter avec eux-mêmes, à travailler sur eux-mêmes,
très longtemps et avec persévérance pour l’obtenir.
A cette fin, il faut absolument détruire les "tampons",
c’est-à-dire aller à la rencontre de toutes les souffrances intérieures,
qui sont liées à la sensation des contradictions.
(…)
Mais la conscience est le seul feu
qui puisse faire fondre toutes les poudres métalliques de la cornue
dont il a déjà été question, et créer l’unité.



Respirons, c’est dense.


G. I. Gurdjieff continue en expliquant le bénéfice d’une écoute de la conscience :
Le concept de "conscience morale" n’a rien de commun avec celui de "moralité".
(…)
Du pont de vue des différentes catégories d’hommes, nous pouvons dire
qu’il existe une conscience de l’homme qui n’a pas de contradictions.
Cette conscience n’est pas une souffrance,
mais une joie d’un caractère entièrement nouveau,
(…)
Un éveil même momentané de la conscience morale dans un homme
aux milliers de "moi" différents implique obligatoirement la souffrance.
Pourtant, si ces instants de conscience se répètent plus souvent
et durent chaque fois plus longtemps, si l’homme ne les craint pas,
mais au contraire coopère avec eux et tente de les garder et de les prolonger,
un élément de joie très subtil, un avant-goût de la vraie "conscience lucide"
percera graduellement en lui.
Le concept de moralité n’a rien de général.
La moralité est faite de "tampons".
Il n’y a pas de morale commune : ce qui est moral en Chine est immoral en Europe (…)
La morale est toujours et partout un phénomène artificiel. (…)
La morale et la conscience sont des choses bien différentes.
Une conscience ne peut jamais contredire une autre conscience.
Mais une morale peut toujours contredire et même nier aisément une autre morale.

Nous allons comprendre l’effet pervers des « tampons » : permettre le mensonge.

Mais avant que G. I. Gurdjieff poursuive, l’un des élèves demande :
« Mais le bien et le mal n’existent-ils pas en eux-mêmes, en dehors de l’homme ? »
Et G. I. Gurdjieff de répondre (veuillez attacher vos ceintures) :
Oui, seulement c’est très loin de nous et cela ne vaut pas la peine
de perdre notre temps à essayer de le comprendre maintenant.
Rappelez-vous simplement ceci :
la seule idée permanente possible du bien et du mal pour l’homme
est liée à l’idée de l’évolution : non pas à l’idée de l’évolution mécanique bien sûr,
mais à l’idée du développement de l’homme par ses efforts conscients,
par le changement de son être, par la création de l’unité en lui,
et par la formation d’un « Moi » permanent.
Une idée permanente du bien et du mal ne peut se former en l’homme
que si elle est mise en rapport avec un but permanent
et une compréhension permanente.
Si un homme comprend qu’il est endormi et s’il a le désir de s’éveiller,
tout ce qui pourra l’aider sera le « bien »
et tout ce qui se mettra en travers de son chemin,
tout ce qui sera de nature à prolonger son sommeil,
sera le « mal ».
(…)
Cela contredit les idées généralement reçues.
Les gens ont l’habitude de penser
que le bien et le mal doivent être le « bien » et le « mal » pour tout le monde,
et, surtout, que le bien et le mal existent pour tout le monde.
En réalité, le bien et le mal n’existent que pour un petit nombre,
pour ceux qui ont un but et qui tendent vers ce but.
Alors pour eux, ce qui va à l’encontre de leur but est le mal,
et ce qui les aide est le bien.
Mais la plupart des endormis diront naturellement qu’ils ont un but
et qu’ils suivent une direction définie.
Pour un homme, se rendre compte qu’il n’a pas de but
et qu’il ne va nulle part est le signe qu’il approche d’un éveil :
c’est un signe que l’éveil devient réellement possible pour lui.
L’éveil d’un homme commence en cet instant où il se rend compte
qu’il ne va nulle part et qu’il ne sait pas où aller.
(…) l’idée du bien et du mal,
dont l’existence même est liée à un but « permanent »,
à une direction « permanente » et à un centre de gravité « permanent ».
L’idée du bien et du mal est quelquefois liée à l’idée de la vérité et du mensonge.
Mais, pour l’homme ordinaire,
la vérité et le mensonge n’existent pas plus que le bien et le mal.
La vérité permanente et le mensonge permanent ne peuvent exister
que pour un homme permanent.
Si un homme change continuellement, la vérité et le mensonge eux aussi
changeront pour lui continuellement. (…)
Un homme ne remarque jamais de quelle façon il commence à regarder comme vrai
ce qu’il considérait hier comme faux, et vice versa. Il ne remarque pas plus
ces renversements qu’il ne remarque la transformation de l’un de ses "moi" en un autre. (…)
Pour comprendre l’interdépendance de la vérité et du mensonge dans sa vie,
un homme doit parvenir à comprendre son mensonge intérieur,
les incessants mensonges qu’il se fait à lui-même.
Ces mensonges sont produits par les "tampons".
Pour arriver à détruire les mensonges qu’il se fait inconsciemment à lui-même,
aussi bien que les mensonges qu’il fait inconsciemment aux autres,
les "tampons" doivent être détruits.
Mais l’homme ne peut pas vivre sans "tampons".
Ils commandent automatiquement toutes ses actions, toutes ses paroles,
toutes ses pensées et tous ses sentiments.
Si les "tampons" devaient être détruits, tout contrôle disparaîtrait.
Un homme ne peut pas exister sans contrôle,
même s’il ne s’agit que d’un contrôle automatique.
Seul un homme qui possède la volonté,
c’est-à-dire un contrôle conscient,
peut vivre sans "tampons".


7 commentaires:

  1. Eric,
    Bon je te passe les blagounettes sur les tampons. Fusible, sauf conduit, notre société en crée pleins. Quand ce que certains appellent sécurité devient responsabilité.
    Intéressant comme toujours.
    Thierry

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    1. Rire bienvenu

      J'avais écrit dans un texte que notre système ne fait qu'ajouter
      des pansements sur des pansements, sur des lois et interdits, etc.
      Voilà comment nous considérons les difficultés,
      en surface et jamais en profondeur,
      en s'efforçant de contenir les conflits entre désirs divergents...
      Responsabilité ?

      Ciao Thierry

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  2. Intéressant ! Donc, je m'éveille doucement puisque je ne sais où je vais, je sais que je n'ai pas de but pour l'instant...
    Je parlais d’œillères, quant à moi pour éviter de voir mes contradictions, cela me permettait de continuer à avancer sans remettre en question les sentiments opposés qui frappaient à la porte de mon cerveau...
    Et je pense que les tampons sont très utiles pour écarter les peurs qui nous empêchent de vivre ce que l'on voudrait réellement...

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    1. Le but..., c'est de s'éveiller du rêve hypnotique ;)

      Les oeillères, c'est grâce aux tampons qu'elles se mettent en place sur notre regard...

      Je crois plutôt que les tampons "entretiennent" des peurs irrationnelles,
      notamment celle de fonctionner sans tampon...
      (Pas sûr d'avoir saisi la dernière phrase car, effectivement, les peurs "nous empêchent de vivre ce que l'on voudrait".
      Si des tampons se mettent en place en nous,
      c'est bien parce qu'on a peur (de nos contradictions), non ?

      Salut Virevolte

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  3. On est sur la même longueur d'ondes, les tampons sont bien là parce qu'on a peur de nos contradictions ! On a peur d'avoir peur et ça nous fige dans un sommeil pas réparateur, vive l'éveil ! ;)

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    1. ;))

      (Longueur d'ondes me fait penser à une de tes photos, "rides d'eau")

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